Ce rire entêtant allait lui exploser le crâne tellement il était déroutant et complètement fou. Il était fou ! Complètement taré ! Un dégénéré mental bon à envoyer avec les malades du même genre ! Et Stern en avait vu dans sa vie. Mais dans le genre suicidaire sadique, c'était une première. Et il lui demandait de le tuer maintenant ? Après lui avoir pourri la vie pendant des heures ?

Il frappa au mauvais endroit : sa cuisse meurtrie, ce qui réveilla la douleur intensément, et Stern se retint d'hurler et au lieu de ça, elle sentit ses yeux s'humidifier. Trop de retenue… mais il était hors de question de lui montrer qu'elle avait mal. Il lui attrapa les chevilles et la fit basculer avant de se rabattre sur elle, l'assommant de tout le poids de son corps et déclenchant une vague de douleur dans ses membres. Sur le ventre et oppressée sous cette masse, Stern eu le souffle coupé. Il se mit à lui mordre de la nuque mais Stern avait décidé que ce serait bien la dernière fois qu'il mettrai la main sur elle.

Elle n'aurait pas le temps d'ouvrir la porte, il avait l'ouïe fine et il l'en empêcherait. le seul moyen était de le bloquer et de faire cesser cette crise de pure folie le plus vite possible. Alors qu'elle sentait ses joues humides de larmes de douleur, Stern glissa sa main à sa ceinture et en sortir une courte dague qu'elle avait camouflé juste sous le cuir, la tira vivement et dans un même geste, elle extirpa le fusil de son fourreau. De sa jambe valide, elle assena un coup sur le côté au niveau des hanches de son agresseur et pivota de sorte à ce qu'il roule sur le côté avec elle. C'était la seconde ou jamais. A présent il était dessous, et Stern ne prit pas la peine de se redresser.

Dos à lui, elle détourna son attention en faisant glisser sa dague le long de son bras, peu profondément cependant mais assez pour le dissuader de la bloquer dans ses mouvements. Et d'un geste précis, elle plaqua le fusil sur le visage de John. Où précisément, elle n'en savait rien, mais peu importait. Le résultat serait le même. S'il bougeait, la balle lui transpercerait le crâne. Elle enclencha le chargeur et un silence glacial s'installa. Morbide. Elle ne prononça pas un mot, soucieuse de laisser le silence et le calme faire leur effet. Le doigt sur la gâchette, elle attendit.

Le silence de mort qui régnait dans la pièce était à la limite de l'insoutenable. Stern n'avait pas l'intention de tirer. Elle n'avais même pas voulu le pointer de son fusil à l'origine. En fait, il ne s'agissait que d'une menace et d'un moyen de pression pour le forcer à se calmer. Et visiblement, c'était une réussite. Elle sentait l'homme trembler sous elle. Il avait peur. Elle ne bougeait pas, attendant de pouvoir mesurer la colère de John. Et donc le degré de risque. Ce dernier s'empara de sa main et la fit légèrement pivoter afin de ne plus rentrer dans sa ligne de mire. Stern le laissa faire, parfaitement calme. D'après ses paroles, il l'avait réellement pris au sérieux, ce qui l'étonna un peu. Il pensait qu'elle voulait le tuer…

Alors qu'il parlait, la jeune femme essuya les larmes causées par la douleur du dos de sa main libre. Elle les avaient presque oubliées. Ce qu'il lui dit ensuite la cloua complètement. Que racontait-il ? Il ne pouvait pas la voir dans le noir complet, mais une immense surprise s'était peinte sur le visage de l'assassin. Oui, il avait en grande partie raison, même si elle ne voulait pas l'avouer. Mais elle en avait bien conscience et elle n'avait nul besoin qu'on lui rappelle cette personnalité qu'elle s'était forgée au fil du temps. Elle ne voulait plus souffrir. Elle voulait être infaillible. Et elle n'avait pas à se justifier, même si ce n'était sans doute pas la meilleure solution. Elle ne serai jamais heureuse, c'était comme ça. Et ça le resterai.

Elle abaissa son arme et sans un mot, se releva, malgré la difficulté qu'elle avait à tenir debout, renforcée par la plaie qu'il avait réveillée. D'une voix morne, elle répondit en rangeant ses armes à sa ceinture :

– Vous ne me connaissez pas.

Même si en une heure à peine il en avait sûrement plus découvert sur elle que n'importe qui d'autre, cela ne lui donnait pas le droit de juger son comportement. Elle refusait délibérément de se laisser aller, qu'il le comprenne ou non. Elle était comme ça parce qu'on l'avait faite comme ça. Qu'il la laisse faire ses propres erreurs, cela ne le regardait pas. La jeune femme avança tant bien que mal vers la porte et s'appuya contre sa surface avant de poursuivre :

– Si vous ne m'ouvrez pas tout de suite, je vais la forcer.

Stern soupira et continua avant qu'il ne réponde :

– On n'a pas d'autre solution dans la vie que d'essayer d'être fort. C'est la seule garantie de survie qu'on puisse avoir. Un pas de travers, et c'est la fin.

Et il ne s'agissait pas pour elle que de paroles en l'air. Une fois, une seule fois elle avait échoué et écouté ses sentiments, et elle avait failli y laisser sa vie. Cela ne se reproduirai plus jamais. Plus jamais elle n'impliquerai son âme. Les sentiments étaient pour les faibles. Stern était perdue depuis des années, et ça ne changerait jamais.

L'homme avait ouvert la porte, cédant à sa demande plus facilement que ce qu'elle aurait cru. Elle l'ignora délibérément lorsqu'il parla de prétentieux et soupira. Visiblement, il n'avait rien compris à ce qu'elle voulait dire. Dans tous les cas, c'était son point de vue et il n'avait rien à y redire. Et alors que la jeune femme avançait comme elle pouvait jusqu'au salon, il l'interpella en hurlant après ses bottes. Selon lui, elles tâchaient le sol… Stern leva les yeux au ciel et ne l'écouta pas hurler davantage, préférant encore les enlever en prenant soin de retirer les lames qui y étaient dissimulées avec précaution.

Cet homme était un parfait maniaque, ce qui était complètement contradictoire avec sa personnalité fabuleusement lunatique et impulsive. Elle l'observa laver le sol sans rire dire, même si elle pensait intérieurement que s'il ne souhaitait pas nettoyer, il n'aurait pas fallu qu'il l'invite chez lui. Une fois sa tâche terminée, il l'emmena vers une nouvelle pièce, qui ressemblait plus à un jardin tropical voire une jungle qu'autre chose. Stern lea les yeux et remarqua qu'il s'agissait d'un beau travail qui avait du mettre du temps à se concrétiser, et surtout beaucoup de patience et de passion. Pieds nus, la jeune femme sentait la terre, comme si elle était effectivement vivante. Et d'ailleurs, elle ressentait à présent des centaines de pulsations dans son corps, ce qui la déstabilisa. Mais elle commençait à comprendre… sans doute était-ce lié aux vies présentes à cet endroit.

Mais Stern tenta de penser à autre chose même si la sensation était présente en permanence. En réfléchissant à ce qu'avait dit John, il révélait vraiment sa nature de scientifique. Elle ne s'était donc pas trompée… Pourtant, un point la troubla :

– Vous parlez des amazones comme de "spécimens"… mais ce sont des femmes avant toute chose. Peut-être même plus "humaines" que vous et moi. Mais oui c'est un bel endroit…

L'assassin fit quelques pas et s'accouda sur le tronc d'un arbre en observant les alentours. Elle n'avait jamais voyagé dans la jungle mais à cet instant, elle avait l'impression d'y être. Tout était très exotique et presque paradisiaque. Un havre de paix… elle pouvait bien le comprendre. En posant sa main sur le tronc, la jeune femme constata qu'elle n'éprouvait rien de particulier. Pas de traces de ces palpitations étranges… cela ne s'appliquait peut-être qu'aux humains et animaux. Mais elle l'oublia bien vite et se retourna vers l'homme avant de sourire et déclarer :

– Une vraie jungle… Et je suppose qu'en parfaite ménagère, vous l'entretenez à merveille ?

Avant d'attendre sa réponse, elle se rapprocha de lui et remarqua l'estafilade qui parcourait le bras de son interlocuteur, provoqué par sa dague. Le sang n'avait pas beaucoup coulé et l'hémorragie avait cessé depuis longtemps, mais la trace rouge demeurait. Stern passa doucement son doigt dessus et déclara, sans lever les yeux vers l'homme :

– Désolée. Je n'ai pas l'habitude de maîtriser des fous furieux dans votre genre. Et les savoir maniaques et amoureux de la nature, c'est encore plus surprenant, termina-t-elle avec un léger rire. Pourquoi me montrez-vous tout cela ? demanda-t-elle en reprenant un peu son sérieux.

John avait l'air surpris de ses paroles, comme s'il ne s'attendait pas le moins du monde à ce qu'elle puisse formuler des excuses. Ce qui était rare, certes, mais elle le faisait en grande partie pour détendre un peu l'atmosphère, suite à cette crise qu'ils avaient enduré dans la salle noire. A son tour, elle fut surprise de sa réponse, surtout lorsqu'il avait souhaité lui révéler autant d'informations sur lui que elle sur sa propre vie… en sachant qu'elle ne lui avait presque rien révélé d'elle. Il lui en montrait beaucoup et en y pensant, peut-être était-ce du à ce besoin de compagnie dont il parlait… Stern avait l'impression qu'il gardait cet endroit secret, comme toute la demeure d'ailleurs… mais peut-être se trompait-elle. En tout cas, ces lieux étaient à l'image de leur propriétaires : diversifiés, autant doux que chaotiques, mais dans tous les cas, ils respiraient le soin dont John faisait preuve à leur égard.

Stern comprenait son point de vue vis à vis de cet endroit. Elle ne s'y sentait pas seule et le calme qui l'envahissait était bienfaiteur. Elle le suivait à travers la jungle, découvrant des espèces dont elle ignora tout. Mais elle observait davantage John du coin de l'oeil, qui paraissait réellement passionné par ses explications. On aurait dit qu'il y consacrait sa vie. Il avait une passion et pour cela, il était réellement chanceux.

Après un moment, ils arrivèrent devais un eau assez trouble et marécageuse qui selon les dires de l'homme, abritait un serpent géant. Stern n'eu pas le temps de la regarder de plus près que John la poussa dans l'eau. Elle ne fut pas totalement immergée mais elle se retrouva suffisamment trempée pour empester l'odeur des marais et avoir sa tenue parsemée de boue. Elle lança un regard noir à John et fit mine de se hisser près de lui en sortant de l'eau… à l'exception près qu'elle le saisit à la cheville pour l'attirer à son tour dans l'eau trouble. Elle lui lança alors :

– Voilà ce qui arrive quand on fait son malin devant les "spécimens féminins"…

Et elle sortit finalement de l'eau. Stern ne supportait pas sa propre odeur et ses vêtements étaient une horreur : boue, vase et algues faisaient guise de teinture. Elle voulait simplement s'en débarrasser. Mais à peine eu-t-elle relevé les yeux vers John qu'elle vit ce qui ressemblait à un gros reptile à la mâchoire puissante au fond de la mare. Immobile, il les fixait de ses yeux jaunes. A voix basse et à la limite du choc, Stern posa les eux sur John qui n'était pas dans un meilleur état qu'elle :

– Vous plaisantez… ? Mais vous êtes dingue…

Et sans attendre de réponse ni de réaction de la part de l'homme, elle s'élança (ou plutôt essaya de faire quelques pas) vers le sentier qui s'enfonçait dans la jungle… jusqu'à déboucher sur un paysage absolument fabuleux. Une source d'eau d'un bleu paradisiaque presque transparent dans laquelle se jetait une cascade. Le bruit de l'eau s'abattant sur la surface lisse la fit frémir tant elle n'avait jamais vu de lieu pareil. Il s'agissait d'un vrai paradis… et sans plus attendre, l'assassin s'élança à sa rencontre, se débarrassant au passage de sa ceinture qu'elle laissa tomber sur la berge avant de se jeter toute habillée dans l'eau claire et fraîche. Immergée jusqu'au torse, elle se tourna vers John :

– Et vous préférez me montrer votre abominable bestiole plutôt que ce paradis terrestre ?

Elle frotta la boue accrochée à ses vêtements et s'immergea complètement, rinçant au passage ses cheveux bruns qui n'avaient pas du tout été epargnés par cette mésaventure. Il était rare que la jeune femme sourit aussi franchement et avec une pareille simplicité. Mais dans cette eau salvatrice qui en avait également le don d'apaiser ses blessures, elle avait l'impression de revivre. Et John qui restait planté comme un piquet sur la rive… l'assassin se rapprocha un peu de lui tout en restant dans l'eau et lança :

– Vous allez rester dans vos vêtements puants à regarder le paysage encore longtemps ? Ou il faut que je vous menace avec un fusil pour que vous fassiez un pas dans l'eau ?

Stern faillit se mettre à rire devant la visage parfaitement déconfit de l'homme qui était resté sur la berge, à la fixer d'une colère sombre. L'assassin ne comprenait franchement pas ce regard meurtrier. Et elle saisissait encore moins la situation présente lorsqu'il retira entièrement ses affaires. Etonnée et gênée, elle se retourna et fit face à la cascade. Non pas qu'elle soit embarrassée de le voir dans le plus simple appareil, mais en y pensant, ils avaient failli s'entretuer une heure plus tôt. Un revirement de situation assez surprenant et déroutant…

Stern continua de frotter doucement ses bras et son visage, éliminant les dernières traces de boue. La tâche était pourtant bien moins aisée concernant ses vêtements en cuir, qui lui collaient désormais à la peau de façon désagréable. Alors qu'elle vaquait à ses occupations elle sentit les mains de John la retourner vers lui. Il souriait délibérément, et Stern haussa les sourcils. Déjà, sa proximité dans cet accoutrement était gênante, et voilà que ce sourire n'arrangeait rien. Mais elle n'eu pas le temps d'être gênée plus longtemps puisqu'il l'immergea sous l'eau sans prévenir. Stern ouvrit les yeux et l'eau claire lui fit voir ce qu'elle aurait souhaité éviter. Vidant ses poumons de surprise, elle se débattit un instant et s'empara de la jambe de John pour le faire basculer et ainsi, qu'il la lâche.

Profitant de cet instant, la jeune femme refit surface, se demandant si son syndrôme de la propreté ne le conduisait pas à quelques extrêmes. Elle reprit son souffle et recula un peu le temps de retrouver ses esprits. Dans tous les cas, il était complètement imprévisible, ce qui n'était pas vraiment rassurant. Mais Stern décida d'ignorer son geste et lui envoya de l'eau à la figure avant de d'exclamer avec un large sourire :

– Désolée d'incommoder votre si belle source… La prochaine fois je retirerai mes vêtements avant. J'espèrais simplement ne pas trop choquer votre sensibilité… Mais visiblement il vous en faut plus.

Elle eu un rire et reprit sa toilette. Les traces sur ses vêtements ne voulaient vraiment pas se décoller, et ses cheveux emmêlés n'arrangeaient rien. Aussi, elle plongea la tête dans l'eau transparente et lorsqu'elle en ressortit, elle détacha un lien en tissu qu'elle avait autour du poignet pour nouer ses cheveux humides. Puis elle se rapprocha de lui et se tourna tout en déclarant sur un ton léger, sans se départir de son sourire :

– Lorsque vous aurez fini vos jeux de bac à sable, auriez-vous l'amabilité de frotter la plaque de boue de votre si charmant marais collé sur mon dos ? Ce n'est pas spécialement très agréable et je n'ai malheureusement pas de bras dans le dos pour le faire moi-même.