Il pleut.
Voilà la première pensé de Jyel, au matin de cette journée au temps maussade. L'odeur de la pluie, s'étant infiltré à travers les pierres du temple, l'avait réveillée. S'extirpant avec lourdeur de sa confortable couchette, elle jeta un rapide coup d’œil endormi à travers sa petite fenêtre. L'aube naissante confirma son impression ; il était encore tôt. Elle aurait pu soupirer et se dire qu'elle avait encore quelques heures de sommeil devant elle, et donc se recoucher dans la foulée. Elle aurait aussi pu se lever, grognant, privée d'un sommeil réparateur et trouver des occupations auxquelles elle pourrait vaquer en attendant que le temple entier s'éveille. Mais non, loin de là. L'inquisitrice avait reçu l'ordre d'assister à la procession religieuse en l'honneur du Vindictus. Jyel jugea qu'elle avait une heure devant elle, le cortège démarrant tôt.
Après avoir avalé une collation frugale, l'inquisitrice enfila sa tenue de cérémonie, composée d'une longue toge claire resserrée à la taille par une large ceinture grise brodée d'or, dont le motif se répétait au bout des manches. Elle portait sur cette robe une longue écharpe grise brodée de fils dorés, Cela n'était pas nécessaire, mais Jyel affectionnait cette tenue. Et elle avait aussi reçu pour ordre d'impressionner les fidèles, il ne lui fallait donc pas faire les choses à moitié. Alors qu'elle s'apprêtait à nouer ses cheveux dans sa nuque, elle se ravisa et passa une main entre ses mèches bleus clair. Ses long cheveux fins retombèrent dans son dos.
Elle attendit patiemment sous le couvert des arbres, ayant encore quelques minutes d'avance. Le seul bruit de la pluie tombant sur la forêt perturbait le silence. Ou plutôt, l'embellissait. Les minutes s'écoulèrent rapidement, absorbée qu'elle était par la contemplation de la nature. Jyel perçut alors des bruits sourds de pas, et leva les yeux vers les nouveaux arrivants. A vue d’œil, elle en dénombra une cinquantaine. Une majeure partie d'elfes, bien qu'il y eut également quelques humains. D'un geste de la main, elle invita les Fidèles à la suivre. Le cortège démarra. La procession se déroulait en silence, malgré quelques chuchotements. Tous priait le Vindictus, l'Inquisitrice en tête de troupe. Jyel ne suivait pas de chemin précis, elle suivait son instinct. Ou plutôt, le Vindictus la conduisait, comme elle se plaisait à le croire. Le parcours qu'ils effectuaient suivait une sorte de boucle dans la forêt, près de ruines ou de lieux sacrés.
Au bout d'une petite heure de marche silencieuse, le groupe arriva devant un autel d'une hauteur d'environ 1m50. Jyel inspira profondément ; le Vindictus était avec eux, avec elle, elle le sentait. Elle laissa cette drôle de sensation monter crescendo dans son corps, jusqu'à ce qu'elle en perde le contrôle au profit du Dieu scellé. Des murmures se firent entendre dans l'assemblée. Une aura noirâtre flottait autour du corps de l'inquisitrice, semblant s'en échapper. La magie montait en elle. Une magie sombre. Son corps fut soudain secoué d'un haut-le-cœur, et un nuage de magie noir s'extirpa de sa poitrine, s'assombrissant à chaque seconde. L'elfe, reprenant en partie contrôle de son corps, manipula la forme aérienne jusqu'à en faire une sphère de la taille d'une main, où était renfermé la puissance du
nuage. Les fidèles s'étaient tus. Jyel, avec maintes précautions, dirigea la sphère de magie vers l'autel. Lentement, celle-ci se détacha du contrôle de l'inquisitrice et flotta au dessus du piédestal.
La sphère se mit à rayonner. Les croyants durent se cacher en partie les yeux, éblouis par les rayons obscurs. Puis le globe explosa, se répandant en hauteur en de plus petites explosions noires. Une fine poussière retomba lentement sur l'autel. Alors que les Fidèles pensaient pouvoir repartir après cette démonstration, la poussière s'envola et se figea une première fois dans les airs. Doucement, elle prit des teintes verdoyantes. Soudain, elle se mit à tourbillonner violemment et le vent se leva. Et le Dieu-Serpent apparut. Ou du moins, sa silhouette se forma dans la poussière. Quelques Fidèles tombèrent à genoux, en psalmodiant. Jyel esquissa un sourire satisfait et les cendres retournèrent en petits essaims se loger dans sa poitrine. Elle raccompagna la petite troupe dans une clairière ensoleillée, d'où ils retrouveraient tous leurs chemins respectifs.
« Voilà pour aujourd'hui. N'oubliez pas, le Vindictus vous protège tant qu'il est assuré de votre ferveur.»Les Fidèles s'inclinèrent et s'en allèrent seuls ou par petits groupes.
Décidée à prendre un peu de bon temps, Jyel Elehnuun opta pour une balade en forêt, en dehors des sentiers
religieux. Elle avait envie de se retrouver seule, loin de l'agitation constante du temple. L'elfe s'enfonça lentement dans la forêt, sur des sentiers encore inexplorés et foulés pour la première fois. La pluie tombait plus drue, passait entre les feuillages et mouillait l'inquisitrice. Les gouttes d'eau s'infiltrait dans sa chevelure, dans son cou, dans les plis de ses vêtements de cérémonie. Qu'importe, elle se sentait bien.
Ses pas la menèrent dans un clairière peu lumineuse, où coulait une rivière. Malgré l'obscurité apparente, elle remarqua une silhouette agenouillé. Elle s'approcha à pas de loups, la silhouette se précisant à ses yeux. Ce devait être un homme, un humain. Assez jeune, à première vue. Il semblait... blessé. Jyel se détacha de sa discrétion et rejoint doucement l'humain, s'arrêtant à quelques pas de lui, alors qu'il était dos à elle. Des mèches de cheveux gris collaient à son dos. Brusquement, il se retourna. L'inquisitrice ne sursauta pas, elle s'attendait à ce qu'il sente sa présence. Elle inclina légèrement sa tête sur le côté, étonnée de trouver un homme dans ces lieux.
Son brusque mouvement semblait avoir causée une étrange douleur chez cet étranger. D'un regard, l'inquisitrice aperçut sa blessure béante à l'épaule, puis détailla mentalement le visage de l'inconnu.
Fatigué. Inquiet. Souffrant. Distant. Elle avait, pendant sa promenade, cueillit des herbes médicinales qui peuvent apaiser la douleur. Peut-être pourrait-elle lui proposer de lui préparer une décoction. Jyel n'aimait pas être face à la douleur. Ce n'était pas de la pitié, c'était du dégoût. Elle n'aimait pas
lire la souffrance sur un visage. L'inquisitrice s'agenouilla face au blessé, à une distance respectable, pour ne pas l'effrayer ou le mettre mal à l'aise.
« Vous me semblez bien amoché. Je ne peux vous soigner. Mais je peux atténuer votre douleur, si vous le désirez. »